Longtemps attendue, la sortie nationale de Dionée dans les Pyrénées a eu lieu début juin. Trois jours consacrés aux plantes carnivores de la région, avec un focus sur les Pinguicula en pleine floraison. La météo était à la hauteur de l’évènement : fraîcheur, averses et orages étaient prévus sur les trois jours côté français. Le camp de base, situé dans le petit village de Gouaux, permettait de rejoindre l’ensemble des sites.
La première journée ciblait le cirque d’Estaubé, au sud de Lourdes. Moins connu que Gavarnie et Troumouse mais tout aussi joli à plus basse altitude, il nous garantissait des Pinguicula en fleurs vu le retard de la végétation cette année. Objectif : P. grandiflora. Cette espèce assez commune dans la chaîne Pyrénéenne peut facilement être observée dès 800 m d’altitude. Inféodée aux milieux humides, elle est peu exigeante sur le pH, pouvant croître tant dans des bas marais acides aux côtés de droséras et d’utriculaires, que dans des tourbières de pente neutro-alcalines, sous-bois humides ou tufs calcaire.
Dans de nombreuses stations, les plantes colonisent des parois suintantes. Dans les autres massifs français et même européens, sauf l’Aubrac, P. vulgaris est le représentant majoritaire du genre. Dans les Pyrénées celle-ci se cantonne aux Pyrénées-Orientales et à Andorre.
La distance jusqu’au cirque d’Estaubé est courte mais nous avons deux cols à passer. Au Tourmalet, la météo n’augure rien de bon pour la suite. La décision est toutefois prise d’y aller quand même. A Estaubé, orchidées et fritillaires font le bonheur des photographes, mais l’orage arrive en même temps que nous… Nous rebroussons chemin trop tard et tout le monde finit douché. Heureusement l’orage est de courte durée ; l’averse passée, nous nous arrêtons un peu plus bas où les Pinguicula sont abondantes : un site similaire au précédent… de quoi nous consoler. Au-delà du cortège de plantes de montagne qu’il abrite, le cirque d’Estaubé est particulièrement intéressant par la présence de variations de P. grandiflora. La fleur de P. grandiflora se distingue par sa corolle plus grande et ouverte, de couleur violette à gorge blanche, aux pétales chevauchants et aux bords souvent ondulés. Nous nous arrêtons le long de la route au bord d’un ruisseau.
En effet, il a été signalé dans le secteur l’existence de P. grandiflora f. chionopetra à la corolle entièrement blanche et retrouvé uniquement dans les Pyrénées et en Irlande, P. grandiflora f. pallida aux pétales bleus très pâles avec un liseré violet à la gorge et d’un variant à fleurs roses. Même si les formes n’ont plus de valeur taxonomique, il est toujours intéressant de pouvoir observer cette diversité dans la nature. À noter également une population où tous les individus ont des feuilles rouges. Au retour, nous nous sommes arrêtés sur un site à Pinguicula grandiflora f. pallida, rejoints par Jean-Jacques Labat. Alors que la littérature le considère comme endémique du Jura, sa
présence sporadique est rapportée dans les Hautes-Pyrénées, comme ici dans la vallée d’Aure, en Haute- Garonne et en Ariège. Outre la teinte des pétales, cette forme se caractérise par sa hampe florale, son calice et son fruit entièrement verts (comme c’est aussi le cas chez la forme chionopetra) alors que ces structures sont teintées de grenat chez le type.
La deuxième journée est consacrée aux sites espagnols dont le bon côté est la météo : la pluie s’arrête souvent à la frontière. Le site de la vallée de la Piñeta est une falaise calcaire et les Pinguicula poussent directement sur le mur en profitant des anfractuosités ainsi qu’à son pied sur les tufs (précipitations du calcaire contenu dans l’eau). L’humidité est due à la circulation de l’eau dans la roche le long des fractures mais aussi aux cascades, nombreuses en cette saison de fonte des neiges et de pluies abondantes.
Pinguicula longifolia est strictement calcicole, on la retrouve sur des parois humides, parfois en présence de dépôts de tufs. Endémique des Pyrénées centrales, elle pousse surtout dans les vallées et canyons du versant espagnol dans la communauté autonome d’Aragon, mais s’étend aussi en France dans les Hautes-Pyrénées, à la limite nord de son aire de répartition. Le premier site visité est une falaise calcaire typique de l’habitat de P.
longifolia, où les plantes présentent la particularité d’avoir toutes des feuilles rouge-grenat au lieu d’être vertes. Il est à noter qu’il a souvent été évoqué une origine hybride de ces plantes rouges. Les photos des fleurs montrent bien ici qu’elles sont caractéristiques de l’espèce P. longifolia.
Ce phénomène pourrait s’expliquer par une susceptibilité d’ordre génétique conduisant les plantes à surexprimer certaines anthocyanines en réponse à l’exposition aux ultraviolets. En effet, les individus de cette population poussant en permanence à l’ombre gardent des feuilles vertes comme le type. Au pied de la falaise pousse aussi P.
grandiflora. Dans la zone supérieure où vit P. longifolia, quelques hybrides peuvent être
observés. Ils sont identifiables par l’aspect des corolles intermédiaire entre les deux espèces, ou bien par la taille des fleurs pouvant faire le double de celle des parents,
rappelant parfois des grassettes mexicaines comme le souligne Jean-Jacques Labat.
Nous avons remarqué qu’un dénivelé de quelques mètres séparait les P. grandiflora situées à la base de la falaise des P. longifolia situées au-dessus. Les hybrides se trouvent quant à eux au niveau de ces dernières. Cette observation suggère qu’ils sont issus de pieds mère de P. longifolia « à feuilles rouges » fécondés par du pollen de P. grandiflora située en contrebas.
La recherche de Pinguicula alpina dans le fond de la vallée s’est révélée infructueuse, mais cela n’a pas entamé la bonne humeur du groupe et un petit coup d’une potion magique locale aide tout le monde à retrouver le moral. P. alpina, en plus d’être l’une des plus primitives, affectionne réellement les conditions de l’étage alpin, comme son nom l’indique. En raison de la situation méridionale des Pyrénées, P. alpina y pousse le plus souvent sur les faces nord des reliefs, ou tout du moins en exposition ombragée, froide et humide. Malheureusement la station indiquée se trouve dans un couloir d’avalanche et l’une d’elle s’est déclenchée durant l’hiver, en témoignent les arbres brisés et les pierres incrustées dans les troncs. Les quantités de neige restantes ne nous permettent pas de parvenir aux plantes. Pendant la marche d’accès, Patrick découvre néanmoins quelques pieds encore en boutons de Cypripedium calceolus, Frank trouve Neottia nidusavis et plusieurs morilles qui ont fait les délices de Teddy et sa famille ! Puis direction le sud et le canyon d’Anisclo. Manque de chance, la route est interdite d’accès, nous ne verrons pas les murs couverts de Pinguicula et celles poussant la tête en bas au bout de stalactites ! Seul le site en bord de rivière est accessible. Ici, c’est la forme type aux feuilles bien vertes qui est visible.
La visite d’un dernier petit site en bord de route atténuera la déception et nous permettra d’observer une autre population de la forme type, dans l’une des stations les plus à l’est de son aire de répartition. Le troisième jour, nous nous rendons au col du Pourtalet (Hautes-Pyrénées et Aragon). Nous commençons notre virée par la visite de la tourbière de Pédestarrès, qui est une ancienne exploitation de tourbe en cours de réhabilitation. Les droséras sont abondants sur les zones dénudées.
Ici prédomine D. intermedia du fait de l’exploitation récente de la tourbière. En effet, de par son caractère pionnier, ce droséra est le premier à peupler les surfaces de tourbe récemment mises à nu. Le développement ultérieur par les sphaignes conduira à sa régression et à son remplacement progressif par D. rotundifolia. Nous prenons rapidement la direction de l’Espagne pour aller voir le site de Cypripedium calceolus, El Zapatito de Dama, à Sallent de Gállego. Le site est situé au bord de la route reliant la France à l’Espagne. En période de floraison, le site est surveillé afin d’éviter la collecte des plantes ou l’endommagement du site. Cette surveillance est financée par le gouvernement de l’Aragon. Un site web local indique aussi que l’amende en cas de coupe s’élèverait à 16 000 euros et 3 000 euros en cas d’endommagement. C’est un site très visité et les pieds présents méritent d’être protégés. Une dernière tentative pour trouver Pinguicula alpina, observée au col du Pourtalet se terminera sans plus de succès que la veille, juste avant l’arrivée de l’orage qui sonnera la fin de la sortie.
Au terme de ces trois jours, organisés de main de maître par Julien Grimoud de l’antenne Midi-Méditerranée, nous avons tous de belles images en tête et l’envie de recommencer ce type de sortie entre passionnés dans une autre région. Il faut saluer l’enthousiasme et la bonne humeur de tous les participants (Sarah, Jean-Jacques, les deux Patrick, Fabrice, (Julien, Quentin, Franck, Teddy) qui ont été des éléments essentiels de la réussite de ces journées.
Textes et photos Julien Grimoud et Patrick Henriquel