7e mordu de plantes carnivores à avoir adhéré à Dionée, Serge Lavayssière fait partie des pionniers de l’association, dont il a été le président. Il partage aussi sa passion sur sa page web carnivore : Lien.
Comment ton premier contact avec les plantes carnivores est-il arrivé ?
Paradoxalement, mon premier contact avec la carnivorité végétale l’a été avec une proto-carnivore.
Enfant, adolescent, mon ‘terrain d’aventures’ était les friches et les bois directement accessibles par un portillon au fond du jardin de la maison familiale. À un endroit de ce ‘royaume’, poussait de la cardère (Dipsacus fullonum), le cabaret des oiseaux. Les feuilles engainantes, opposées, forment une cuvette dans laquelle l’eau de pluie s’accumule. Je me souviens y avoir remarqué un jour des débris végétaux, portés par le vent, en décomposition, ainsi que quelques insectes noyés. Une idée farfelue m’a effleuré l’esprit (plus qu’effleuré puisque je m’en souviens !) : ‘Ça serait bête que la plante ne puisse pas se nourrir de ce purin.’
Bien des années plus tard, âgé de 21 ans, je connaissais l’existence de ces plantes bizarres, mais n’en avais jamais approché.
Je suis tombé sur une annonce proposant en vente par correspondance une plante carnivore avec ses instructions de culture. J’ai reçu quelques jours plus tard un rhizome de Dionée, dans son petit pot de tourbe, avec une première feuille commençant à apparaître. Malheureusement, je suis passé par toutes les erreurs de débutant : Beaucoup de lumière – Sur la fenêtre (la seule du studio, au nord), ça va le faire – Beaucoup d’eau de pluie – Je n’ai pas d’eau de pluie, celle du robinet ira bien, j’en ai plein ! La malheureuse feuille n’a pas beaucoup poussé !
Enfin, à l’automne 1986, jeune instituteur à Versailles, j’allais par curiosité à une exposition sur les plantes carnivores aux serres d’Auteuil, où j’ai rencontré Dionée. Ça a été une révélation : des gens passionnés, une écoute attentive, des conseils avisés, mes premiers Sarracenia flava, Dionaea muscipula (pas vraiment mon premier) et Drosera capensis. Ces trois-là ont survécu quelque temps, malgré des conditions de culture dont je rougis aujourd’hui.
Qu’as-tu ressenti la première fois que tu as vu une plante carnivore dans son milieu naturel ?
La toute première fut Pinguicula vulgaris (ou peut-être P. grandiflora) au hasard d’une randonnée estivale dans les Pyrénées orientales. J’ai encore en tête l’image de cette étoile à cinq branches, sur un rocher, au milieu d’un torrent. Bien d’autres, en fleurs, m’attendaient un peu plus haut.
Mais le souvenir émotionnel le plus intense dont je me souvienne fut à la fin du mois de juillet 1994. Arrivé à trois heures du matin à Perth, Western Australia [NdR : Australie-Occidentale] réveillé (surexcité) à huit heures, je laissai ma compagne terminer sa nuit dans la chambre d’hôtel pour courir à King Park ! Il ne me fallut pas longtemps, en m’écartant à peine des sentiers battus, pour presque marcher sur un groupe de Drosera collina et là… bouffée d’émotion… les larmes aux yeux… ‘Eh mec ! Tu réalises bien où tu es et ce que tu as devant les yeux !!!’
Et le premier Pinguicula vallisneriifolia, dans les gorges du Rio Boroso… Pas mal aussi ! Et Pinguicula nevadensis ! Inoubliable ! Émotion d’autant plus précieuse qu’aujourd’hui, la ‘Carretera mas alta de Europa’ [NdR : la route la plus élevée d’Europe], qui mène presque au sommet du Pico de Veleta, est fermée à la circulation. Et…
Allez, je m’égare, question suivante…
Tu t’occupes d’une collection. Quels sont tes secrets de culture ?
Je ne crois pas qu’il y ait vraiment un secret… Peut-être une façon de les considérer, de les aimer pas seulement pour ce qu’elles m’apportent mais pour ce qu’elles sont.
Car des plantes, j’en ai malheureusement perdu bien plus que je n’en ai aujourd’hui.
Et j’ai toujours pensé qu’une plante qui meurt, ce n’est pas un bug, un gadget qui tombe en panne (tant pis, j’en rachèterai…) mais une vie qui disparaît, parce ses besoins, son écologie (les relations qu’un être vivant entretient avec son environnement) n’ont pas été respectés. Pour comprendre son écologie, il faut la découvrir, apprendre à la connaître, explorer son environnement, le climat auquel elle s’est adaptée en quelques milliers d’années…
Pas toujours facile, que ça soit par la littérature, une visite à domicile (leur domicile !) il est facile de trouver des indices.
J’ai certainement été influencé dans cette approche en ayant la chance de rencontrer des gens passionnés et passionnants, intarissables sur ce sujet. Je dois beaucoup à Pierre Sibille, mon ‘mentor’ au sein de Dionée et mon guide pour mes premières cultures, à Laurent Legendre pour nos aventureuses explorations en Forêt de Rambouillet, nos si enrichissants ‘bavardages’, et nos essais d’hybridations (cf. P. x ‘L’Hautil’ et P. x ‘Bailly’ toujours dans les collections).
Éric Partrat se souvient certainement encore de cette folle expédition en Andalousie (excellemment relatée par Jean-Rémi Fierfort dans Dionée 53).
Bien évidemment, l’amitié précieuse, l’expertise, l’éternel émerveillement de Jean-Jacques Labat.
L’accueil chaleureux et enthousiaste de Robert Gibson, Phil Mann… Et… Bon ! Question suivante…
Serge, ton nom figure aujourd’hui dans des ouvrages de référence. Qu’est-ce que les plantes carnivores t’ont apporté de plus important ?
Les ouvrages de référence, ce n’est bien évidemment pas de mon fait qu’ils le sont… Mais j’ai eu la chance de rencontrer leurs auteurs et suis très fier d’avoir pu partager un peu avec eux qui m’ont tant apporté.
En plus de rencontres avec ces gens extraordinaires (ce n’est pas de la flagornerie, mais de par leur passion, ces personnes ne sont évidemment pas « ordinaires ») je pense que ces plantes ont ouvert, stimulé et entretenu chez moi une curiosité, une envie d’apprendre, dans de nombreux domaines du monde du vivant. Collectionner les plantes carnivores peut paraître très exclusif, limitant, voire monomaniaque, mais elles interpellent sur les relations entre plantes et insectes, l’évidente pollinisation (ouverture vers stylidiums, orchidées, aracées…), le lien très étroit entre la plante et son milieu (pourquoi ici il y en a plein, et à trois mètres, plus rien ?), les climats, l’eau, la géologie… Incessantes découvertes…
Les plantes carnivores ont aussi très souvent été le fil conducteur de mes destinations de vacances, autant dans nos montagnes françaises qu’en Espagne, ou en Australie. Jamais déçu !
Serge, toi qui a vu Dionée grandir en y prenant part, quel regard portes-tu sur son évolution ?
Je n’ai pas vu naître Dionée en 1984, mais y ai adhéré seulement en 1986. À l’époque, aucun livre en français n’existait sur le sujet, pas de plantes carnivores en jardineries, Dionée était incontournable comme source de documentation, pour sa bourse de graines, ses petites annonces… Sa place et son rôle étaient faciles, évidents.
Lors de son départ aux États-Unis pour y poursuivre ses études, Laurent Legendre m’a confié la bourse de graines. Quel piège ! Toutes ces espèces désirables dans mon frigo. J’avoue avoir testé la qualité de certaines… Et quel travail aussi, dans les semaines suivant la parution du bulletin (avec la liste des graines disponibles).
En 91, Daniel Moreno a laissé vacant le siège de président, et la tâche de réaliser le bulletin trimestriel. Pas de candidat…
J’avais déjà un pied dedans, j’ai mis le deuxième. Époque épique où les bulletins étaient réalisés par collage de textes (dactylographiés par C. Georges, la compagne de Gérard Lecointe dont j’ai honte d’avoir oublié le prénom) et de dessins sur des feuilles A3, apportés tels quels à l’imprimeur qui utilisait un procédé de photocopie.
J’ai connu (subi ?) le passage au numérique, me suis mis à la PAO pour ne plus fournir à l’imprimeur qu’un CD contenant tout le bulletin qu’il imprimait en quadrichromie.
Et puis, internet est devenu accessible à tous. Concurrent ou outil ?
La diffusion (avec leur accord) par l’association des e-mails des membres a permis des contacts plus faciles, plus directs, facilitant les rencontres régionales, des liens plus suivis entre les groupes locaux. Ces groupes étaient dynamiques, enthousiastes, leur rencontres fréquentes entretenait la passion, il fallait que l’association leur donne la possibilité de rester en son sein. A alors émergé le concept d’antennes régionales, que j’ai encouragées (contre l’avis de certains qui pensaient que ça favoriserait des velléités de sécession ou de création d’associations locales concurrentes) et fait officialiser leur existence.
Un autre sujet polémique a été la mise en ligne des anciens bulletins. Dionée rééditait et vendait les anciens bulletins. Il s’en vendait bien quelques-uns par an mais les rééditons coûtaient parfois plus cher que la vente ne rapportait.
Pour moi, internet devenait une vitrine (malgré quelques essais, Dionée n’avait pas encore de site officiel stable) et j’ai jugé utile (et soumis au vote en assemblée générale) la mise en ligne des anciens bulletins, pour rendre accessible cette mine d’information plutôt que de la voir dormir au fond de cartons. C’était de mon point de vue une publicité pour l’association plus efficace et rentable que la vente de quelques anciens bulletins.
Mais la concurrence était rude, des pages persos consacrées à ces places devenant de plus en plus nombreuses, les livres en français enfin disponibles, la place de Dionée n’était plus ni si évidente, ni facile à trouver.
Peu après ça, problèmes personnels éprouvants, tempête de 99 qui a éventré plusieurs de mes installations, plus une forme de burn-out, j’ai brutalement pris mes distances avec Dionée. Ma collection s’est réduite jusqu’aux quelques fidèles increvables qui ont supporté ma négligence.
Problèmes personnels résolus, nouvelle compagne, nouvelle maison, on ne se refait pas ! Mon retour ‘social’ vers les plantes carnivores s’est plutôt passé sur internet. Sites de producteurs, forums, groupes Facebook, quelques achats, beaucoup d’échanges, voire de cadeaux, surprise et plaisir d’y retrouver quelques noms connus… Et puis le site de Dionée, toujours là, avec des antennes régionales actives, sa bourse de graines, la
newsletter.
Contact repris avec Normandionée, une visite en forêt de Rambouillet suite à la dernière assemblée générale, et j’y retrouve la même curiosité, l’enthousiasme, les échanges désintéressés de plantes, d’anecdotes, de conseils, d’astuces de culture. La passion, la vie !
Sans vouloir généraliser (loin de là), on rencontre sur les forums ou groupes internet beaucoup de gens de passage, de consommateurs, qui s’intéressent à ces plantes parce qu’elles sont bizarres, ou jolies. Qui cherchent à acheter une plante pour son aspect, sans se pencher sur ses besoins et la possibilité (ou pas) de les satisfaire, et qui, dès le premier échec, passeront aux cactées ou aux poissons. Ou d’autres qui, dès la première réussite de maintenance d’une Dionée pendant six mois, pensent avoir tout compris, n’ont plus rien à apprendre et donnent des leçons…
Le fait d’adhérer à une association implique plus durablement ! Ce n’est plus de la curiosité superficielle, mais une démarche de partage, de mutualisation, de recherche et partage, d’actions pour la connaissance ou la conservation de ces plantes. L’adhésion est une sorte de filtre qui ne garde que les plus profondément motivés, les plus passionnés.
Dionée a réussi à trouver sa place aujourd’hui, pas grâce à moi, mais au fond de moi, j’en suis très heureux (et même un peu fier).
Serge, quelle est la question que je ne t’ai pas posée et à laquelle tu aurais aimé répondre ?
Tu m’as interrogé sur ma première plante, mais pas celles d’aujourd’hui, mes préférées, les coups de coeur…
J’ai un gros penchant pour les Pinguicula mexicaines, certainement dû à mes mauvaises fréquentations avec Pierre Sibille, Laurent Legendre, Éric Partrat. Bien sûr leurs floraisons, mais la variété et la délicatesse de ces rosettes, les couleurs que prennent certaines au soleil. Quelques astuces (secrets ?) de culture à appliquer concernant l’arrosage saisonnier et le substrat particulier, et leur maintenance est facile, avec une multiplication par boutures abondante.
Pinguicula medusina, Pinguicula gypsicola, Drosera binata forme, Drosera squamosa
Nostalgie d’un voyage, certainement, mais qu’a motivé ce voyage ? J’adore ma petite collection de tubéreux australiens, le plus ancien étant un Drosera major (anciennement D. bulbosa ssp. major) que m’avait envoyé Phil Mann en 1996. Beaucoup l’ont rejoint depuis, et apportent de la vie dans ma serre pendant notre triste hiver. Étrange idée tout de même que de s’enterrer pendant l’été (sec et torride en Australie) pour ne pousser à toute vitesse que pendant de l’hiver doux et humide. Attention à ce que d’année en année, le tubercule grossisse bien, ces plantes sont gourmandes et nécessitent des insectes ou des paillettes pour poisson.
Et après en avoir gardé un six ans, l’avoir conduit à fleurir et à se diviser, puis perdu par négligence, tu sourirais à me voir bichonner avec tendresse ce petit joyau qu’est Utricularia menziesii, en provenance directe des antipodes.
Une tendresse aussi pour mon Cephalotus qui fait partie des quelques rescapés d’un autre siècle, qui a survécu à maintes aventures et déménagements.
Bien que peu attiré par la multitude de clones et hybrides aujourd’hui sur le marché, je suis fasciné par l’évolution et les perfectionnements apparents des pièges des Sarraceniacées. J’aime beaucoup mon seul Heliamphora, commun hybride heterodoxa x minor, dont le piège n’est, à la cuillère à nectar près, qu’une feuille enroulée soudée à l’avant. Chez Sarracenia purpurea, le piège se perfectionne avec l’apparition d’un opercule. Cet opercule recouvre l’entrée du piège et se constelle de petites fenêtres chez S. leucophylla pour commencer à envelopper l’ouverture du piège chez S. minor. Chez S. psittacina enfin le dôme est refermé, et Darlingtonia arbore fièrement ses moustaches à nectar.
Ibicella lutea, avec ses griffes du diable, a sa place chaque année dans mon potager entre les courgettes et les tomates.
Et j’ai besoin qu’un « Candide » entre dans ma serre pour que je m’émerveille encore devant cette énorme potée de Dionaea, ces Drosera capensis, aliciae, binata, madagascariensis (ces trucs qui poussent tellement tous seuls qu’on finit par les oublier)…
Enfin ! Comment ne pas éprouver de la tendresse pour ces êtres vivants qui m’accompagnent parfois depuis plusieurs décennies, au cours d’une vie qui aurait certainement été différente sans Dionée.